Le 14 octobre dernier, le World Forum Artois a accueilli des tables rondes autour du thème « Entreprises en mouvement : s’engager pour une mobilité durable ». Expert invité, Tom Dubois (Forum Vies Mobiles) a éclairé les échanges autour de trois enjeux clés : télétravail et modes actifs, transports partagés et mobilisation des territoires.

 

Pendant ces tables rondes, le sujet du télétravail a occupé une place importante. Pourquoi est-ce un sujet central aujourd’hui ?

Avant de parler du télétravail, il faut rappeler quelques chiffres clés. La mobilité liée au travail reste le premier motif de déplacement des Français. Pour 82 % des salariés, il est nécessaire de se rendre sur leur lieu de travail. Parmi eux, 60 % parcourent moins de 9 kilomètres chaque jour, tandis que 16 % parcourent plus de 30 kilomètres. Ces réalités très différentes appellent donc des réponses adaptées pour réduire l’usage de la voiture individuelle. Aujourd’hui, entre 70 % et 90 % des kilomètres domicile-travail sont effectués en voiture. Depuis la crise sanitaire, le télétravail a profondément modifié cette donne : avant la pandémie, seuls 3 % des actifs le pratiquaient. Pendant la crise, on est monté à 30 %, et aujourd’hui, on se situe entre 20 et 25 %, avec en moyenne de deux jours télétravaillés par semaine.

 

Le télétravail est parfois pointé du doigt pour ses effets secondaires. Quels sont les principaux écueils soulevés et comment peut-on les dépasser ?

Le principal problème vient souvent de l’absence d’organisation structurée. On a laissé le télétravail s’installer sans vraiment le planifier. Résultat : beaucoup de salariés télétravaillent les lundis et vendredis, ce qui concentre le trafic les mardis et jeudis… et les réunions en interne sur ces mêmes jours. Pour qu’il soit efficace, le télétravail doit reposer sur une triple organisation :

  • à l’échelle du territoire, pour mieux répartir les jours télétravaillés et lisser les flux ;
  • à l’échelle de l’entreprise, pour adapter le management et la coordination des équipes ;
  • à l’échelle individuelle, pour permettre un télétravail choisi et exercé dans de bonnes conditions.

 

En France, le télétravail reste surtout pratiqué par les cadres. À titre de comparaison, 48 % des employés télétravaillent en Italie, contre seulement 17 % en France. Il y a encore une marge de progression. L’enjeu repose sur la confiance et l’organisation. L’aspiration, elle, est bien là : lorsqu’il est possible, le télétravail est largement plébiscité par ceux qui le pratiquent.

 

On observe aussi une montée en puissance du vélo dans les modes de déplacement. Comment l’expliquez-vous ?

Oui, on constate une vraie aspiration à rendre les déplacements plus agréables et moins contraignants, et le développement des pistes cyclables y contribue largement. Pour autant, il reste encore du chemin à parcourir avant que le vélo devienne une alternative de masse à la voiture. La clé, c’est l’action coordonnée : les territoires doivent sécuriser et développer les pistes cyclables et piétonnes, les entreprises peuvent encourager et faciliter l’usage en installant des garages à vélos ou en mettant à disposition des vélos électriques pour les trajets professionnels, et les opérateurs de transport doivent aussi adapter leurs infrastructures, par exemple en offrant davantage de places pour les vélos dans les trains ou de stationnement sécurisé en gare. En somme, tout le monde a un rôle à jouer : les salariés, les entreprises et les collectivités.

 

En revanche, le covoiturage semble stagner. Comment l’expliquer ?

C’est vrai, et c’est assez interpellant, car sur le papier, le covoiturage relève du bon sens : c’est mieux d’être plusieurs plutôt que seul dans son véhicule. Des outils existent — applications dédiées, parkings, lignes de covoiturage — mais les freins restent nombreux et souvent structurels. Le covoiturage doit être développé là où c’est pertinent, mais il ne deviendra probablement jamais la solution majoritaire. En revanche, les transports en commun représentent un véritable levier. Pour favoriser leur usage, il faut notamment réfléchir à l’implantation des entreprises : les zones bien desservies par les réseaux de transport facilitent mécaniquement le report modal. Les employeurs ont aussi un rôle clé à jouer en introduisant davantage de flexibilité dans les horaires de travail. Parfois, on s’empêche de prendre les transports pour un simple décalage de 15 minutes sur l’heure d’arrivée. C’est dommage, car cela pourrait faire une vraie différence. À titre de rappel, sur l'ensemble des émissions de la France, 5 % des émissions de CO sont liées aux déplacements domicile-travail.

 

Plusieurs témoignages lors des tables rondes ont insisté sur l’importance du diagnostic en entreprise. Est-ce, selon vous, une étape incontournable pour engager une démarche efficace ?

Oui, au Forum Vies Mobiles, nous pensons que chaque NAO (Négociation Annuelle Obligatoire) devrait s’accompagner d’un diagnostic de la mobilité des salariés et de leurs attentes. Sans cela, il est difficile d’avoir un échange réellement éclairé sur le sujet. Ce diagnostic permet de faire remonter la question de la mobilité au sein des négociations, et de ne plus la considérer comme un sujet annexe. Par ailleurs, il est obligatoire en cas de mise en place d’un PDME (Plan De Mobilité Employeur).

 

Auriez-vous des conseils pour susciter l’adhésion des entrepreneurs, notamment auprès des plus sceptiques ? Certains participants au Challenge de la Mobilité ont utilisé l’humour pour mobiliser en interne : faut-il, selon vous, « démystifier » la question de la mobilité ?

Je dirais que le plus important, c’est de partir des aspirations des salariés et de leurs besoins. Les déplacements liés au travail sont l’une des principales sources de mécontentement dans la vie quotidienne. Si l’on s’y penche sérieusement, on peut vraiment améliorer les choses. C’est aussi un enjeu environnemental fort. Bien-être au quotidien et écologie ne doivent pas s’opposer : au contraire, ils peuvent se renforcer mutuellement.

 

Pensez-vous qu’il soit essentiel de désigner une personne ressource dédiée pour porter une politique de mobilité douce au sein de l’entreprise ?

Oui. Dans notre étude sur les effets de la LOM (Loi d’Orientation des Mobilités), nous avons constaté qu’un des leviers majeurs pour mieux organiser les mobilités liées au travail est de désigner un responsable mobilité au sein des entreprises qui en ont les moyens.

Aujourd’hui, les responsabilités sont souvent dispersées — entre RH, management, gestionnaires de flotte ou responsables de site — ce qui empêche une politique réellement cohérente. Souvent, personne ne se sent vraiment en charge de ces sujets, qui sont alors considérés comme relevant uniquement de l’organisation personnelle des salariés. C’est une erreur : les entreprises sont de véritables générateurs de flux et ont donc une responsabilité à ce titre. Et au-delà de l’impact environnemental, des salariés moins fatigués et plus détendus sont aussi plus efficaces et engagés. Sur ce sujet, tout le monde a à y gagner.

 

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